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Le Labo de l’Edition va ouvrir un Petit musée de la lecture numérique. Ce sera un lieu d’exposition inédit en Europe, à destination du grand public et des professionnels, dédié à l’histoire des appareils de lecture numérique. Le projet est conduit par Elizabeth Sutton, co-fondatrice du site d’actualités du livre numérique IDBOOX.com.

Marie Lebert, auteure du Livre 010101,  » grande saga du livre numérique de juillet 1971 à nos jours », soutient le projet et a accepté de nous faire part de son expertise en matière de lecture numérique à travers une interview exclusive.

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Interview avec Marie Lebert, auteure du Livre 010101 #MuséeLectureNum

De quelle année datez-vous la naissance de la lecture numérique ?

Il me semble que la lecture numérique a vraiment démarré en 2000. Le livre numérique non commercial a démarré très tôt, dès l’invention de l’internet en 1974 (et même avant puisque l’eText #1 date de 1971). Il a ensuite été boosté par l’invention du web en 1990 et le lancement du PDF en 1993, et il a ouvert la route au livre commercial. Quant au livre numérique commercial, même s’il existait quelques expériences dès 1998, il a démarré en 2000 avec l’apparition d’autres formats (que le PDF) et logiciels de lecture et avec le début de la numérisation des livres à grande échelle. Le fait qu’on puisse lire des livres numériques sur d’autres supports que l’ordinateur (à savoir le PDA (ndlr : personal digital assistant), le smartphone, la liseuse et la tablette) a également contribué à la généralisation de la lecture numérique.

Quel impact l’apparition des appareils de lecture numérique a-t-il eu sur le marché du livre ? Quel bilan peut-on faire aujourd’hui ?

L’apparition de ces appareils a favorisé le développement et la vente des livres numériques en diversifiant les supports de lecture. Après avoir été très inquiets des risques de piratage, les éditeurs ont ensuite cherché à sortir systématiquement un livre en deux versions, imprimée et numérique. Certains éditeurs ont même choisi de privilégier la version numérique (et d’oublier la version imprimée) pour leurs livres scientifiques ou techniques (ou autres) pour des raisons de coût. Comme l’entrevoyait dès décembre 2000 Olivier Pujol, PDG de la société Cytale et concepteur de la liseuse Cybook, « les projections montrent une stabilité de l’usage du papier pour la lecture, mais une croissance de l’industrie de l’édition, tirée par la lecture numérique, et le livre électronique. » Cette citation insiste à juste titre sur le fait qu’imprimé et numérique sont complémentaires.

Comment la lecture numérique est-elle entrée dans les usages ?

Les appareils de lecture ont toujours suscité beaucoup d’enthousiasme, dès leurs débuts, y compris lorsque les gens ne pouvaient pas se permettre de les acheter vu leur prix prohibitif. Dès qu’on a parlé de nouveaux appareils de lecture (en plus de l’ordinateur de bureau et de l’ordinateur portable), l’engouement a été présent, y compris chez les professionnels du livre qui en voyaient pourtant les limites (faible capacité de stockage, petit écran, etc.). Le Salon du Livre de Paris a même proposé un Village eBook en mars 2000, puis un eBook Europe (sommet européen de l’édition numérique) en mars 2001, avant d’être plus discret sur le sujet dans les années suivantes. Tous ces appareils étaient hors de prix et les techniques devaient encore évoluer pour offrir des appareils plus ergonomiques à un prix abordable, comme c’est le cas pour toutes les inventions. De plus, lorsque ces machines dédiées à la lecture numérique ont vu le jour, il y avait encore très peu de livres numériques. Pour le livre numérique non commercial, les premiers textes ont été tapés page à page sur un clavier (par exemple pour le Projet Gutenberg) avant d’utiliser la technologie OCR (par exemple pour Gallica ou l’Internet Archive). Pour le livre numérique commercial, l’offre s’est construite petit à petit, grâce au patient labeur de quelques diffuseurs-distributeurs numériques pour convaincre les éditeurs. Il a également fallu mettre au point les technologies nécessaires pour pouvoir organiser un nombre très important de données dans de grandes bibliothèques numériques et de grandes librairies en ligne. La naissance de la lecture numérique est une aventure collective remarquable qui a mobilisé des métiers très différents sur tous les fronts, pour faire surgir ensuite de nouvelles idées et de nouvelles technologies tout en étant à l’écoute d’un public (professionnels et grand public) qui est passé du scepticisme à l’enthousiasme.

Comme le montre votre ouvrage « Le Livre 010101 », la liseuse a suscité dans les années 2000 un certain scepticisme. Personne n’y voyait une réelle valeur ajoutée par rapport aux autres supports existants comme le PDA puis le smartphone. L’opinion a-t-elle changé ?

En effet, les gens se demandaient si la liseuse allait avoir un avenir dans la mesure où il s’agissait un appareil « monotâche » (avec une seule fonction : lire), contrairement au PDA multifonctions. En avril 2001, il y avait 17 millions de PDA pour seulement 100.000 liseuses. Mais, comme on le voit tous les jours, la liseuse a aujourd’hui beaucoup de succès, à côté du smartphone et de la tablette. Lorsque leur budget le leur permet, les gens n’hésitent pas à acheter une liseuse en plus de leur tablette, et ils en font deux usages différents. Jusqu’à une époque récente, le prix de ces appareils était élevé, mais il a beaucoup baissé puisqu’il existe maintenant un véritable marché. Le fait de produire des appareils en quantité contribue à la baisse des coûts. Les gens achètent des liseuses car elles procurent une expérience de lecture agréable (y compris pour agrandir les caractères), en plus d’être pratiques (beaucoup de livres pour peu de poids), avec de nouveaux modèles de plus en plus ergonomiques, y compris pour les personnes ayant des problèmes de vision (avec des possibilités de « confort visuel » et de lecture audio) ou des problèmes moteurs (les empêchant de tourner les pages d’un livre imprimé).

Peut-on alors dire que la liseuse soit en train de devenir un objet usuel et un appareil grand public, comme c’est le cas de l’ordinateur ?

C’est à mon sens déjà le cas. Si la France n’est pas (encore) le meilleur témoin de ce phénomène, on l’observe largement dans plusieurs pays d’Asie où les appareils sont peu coûteux et où les éditeurs et libraires vendent maintenant davantage de livres numériques que de livres imprimés. On l’observe aussi dans tous les pôles mondiaux où la technologie est omniprésente, par exemple dans la Silicon Valley. De plus de gens lisent sur support électronique nomade, qu’il s’agisse d’une liseuse, d’un smartphone ou d’une tablette, et c’est à mon sens une tendance irréversible.

Est-ce à dire que le numérique va remplacer l’imprimé ?

Absolument pas. Numérique et imprimé sont deux expériences de lecture différentes et sont partis pour cohabiter pendant un temps significatif. Il ne faut surtout pas les opposer, comme cela a été fait au début des années 2000. D’après certains spécialistes, la mort du papier était proche sinon imminente, mais on voit que le papier ne se porte pas si mal en 2016. Aujourd’hui on a une attitude plus nuancée, puisqu’on utilise l’imprimé et le numérique de façon complémentaire. Cela se retrouve d’ailleurs dans les habitudes des lecteurs. Un adepte de la lecture numérique lira volontiers un livre de poche imprimé (c’est mon cas) ou se procurera une belle édition imprimée sur un sujet qui le passionne, tout comme une personne se proclamant haut et fort « lecteur papier » consentira à lire sur un écran un rapport ou un document technique. Aujourd’hui, nous avons la chance d’avoir deux supports (imprimé et numérique) qui répondent à différents besoins. Certains créateurs numériques essayent même de transposer sur papier leurs expériences numériques et nombre d’entre eux sont très émus lorsque l’équivalent imprimé de leur œuvre numérique est publié. Il existe énormément de possibilités d’un support à l’autre. On vit une période très intéressante car le monde du livre est en train de changer d’ère avec un « nouveau » support (né il y a 45 ans grâce à Michael Hart et effectif depuis 15 ans) s’ajoutant au support existant (né il y a cinq siècles et demi grâce à Gutenberg).

Comment voyez-vous l’avenir du livre avec les appareils de lecture numérique ?

Chose trop souvent oubliée, en plus des technologies numériques et des appareils de lecture, largement couverts par les médias, le numérique a également permis de développer de nouvelles formes d’écriture, y compris des livres qui ne sont plus linéaires. Il a permis la diffusion d’œuvres multimédias (texte, image et son) puis d’œuvres hypermédias (multimédia + clic) explorant les possibilités offertes par l’hyperlien pour créer des œuvres interactives. Ainsi sont nés le mail-roman, le roman multimédia, le roman hypermédia, l’espace d’écriture hypermédia (y compris collectif) et le roman diffusé en chaînes de 140 caractères sur Twitter. Comme le disait dès février 2002 Jean-Pierre Balpe, auteur du premier mail-roman en langue française, « les technologies numériques sont une chance extraordinaire du renouvellement du littéraire. » Aujourd’hui on commence à parler d’écriture et de lecture 3D que certains expérimentent déjà. Les technologies (y compris les appareils de lecture numérique) sont à l’origine de profonds changements en termes de création et de diffusion et ceci influence notre culture. Reste à encourager les créateurs de ces œuvres littéraires tout autant que les concepteurs de nouveaux appareils. C’est pour cela que votre projet de Musée, en prenant pour fil rouge l’histoire des appareils de lecture numérique (un sujet qui fédère tout le monde, les professionnels comme le grand public), est très intéressant.

Vous dites aussi que les appareils en eux-mêmes suscitent un réel engouement, pourquoi selon vous ?

Pierre Schweitzer, inventeur dès 1996 du projet @folio, un support de lecture nomade malheureusement resté à l’état de prototype, parlait en décembre 2006 d’une poétique des objets. Ses termes exacts sont : « Seules importeront les commodités fonctionnelles d’usage [des supports de lecture] et la poétique de ces objets. » En tant qu’architecte designer, il avait compris l’importance de beaux objets au quotidien. Autour du support comme espace de stockage, il est important de se concentrer sur l’ergonomie, les fonctionnalités et le design de l’appareil. Lorsqu’on voit les toutes premières liseuses californiennes sorties à la fin des années 1990 (par exemple le Rocket eBook ou le SoftBook Reader), on voit que le design des liseuses a vraiment fait de très grands progrès en quinze ans. On accorde de plus en plus d’importance à l’objet-appareil, tout comme on préfère une belle édition de poche ou une belle couverture pour un livre imprimé.

Avez-vous un mot à dire sur l’initiative du Petit Musée de la lecture numérique ?

C’est un beau projet qui concerne les professionnels du livre mais qui va aussi bien au-delà puisque la lecture concerne tout le monde. Votre communiqué de presse annonçant votre projet a d’ailleurs eu une résonance dans le monde entier… un signe qui ne trompe pas. Votre idée de faire de ce musée un lieu de médiation pour les professionnels mais aussi pour le grand public est très pertinente. L’accès à la lecture numérique concerne tout un chacun, y compris ceux qui ne sont pas forcément de grands lecteurs sur support numérique ou papier. La dimension collaborative du projet donne d’ailleurs tout son sens à ce musée. Chacun a son mot à dire, non seulement sur le passé des appareils de lecture, mais également sur leur avenir. Quels appareils veut-on pour demain ? Quelles expériences de lecture ? Des questions et des réponses fleuriront autour de ce lieu.

7 avril 2016

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À propos du Livre 010101 (1971-2015)

Datée de novembre 2015, une grande saga du livre numérique de juillet 1971 à nos jours, basée sur le suivi de l’actualité au fil des ans et sur une centaine d’entretiens poursuivis pendant plusieurs années en Europe, en Afrique, en Asie et dans les Amériques. On y parle des auteurs, des éditeurs, des libraires, des bibliothèques, des catalogues, des dictionnaires, des encyclopédies, des formats de livre numérique, des logiciels de lecture et des appareils de lecture. On accorde autant d’importance au livre numérique non commercial (né en 1971) qu’au livre numérique commercial (né en 1998). On n’oublie pas que ce sont les auteurs qui font les livres – y compris numériques. De nombreux auteurs sont donc interviewés dans ces pages. Les projets collaboratifs existent depuis les débuts du web et leurs auteurs sont également interviewés ici. Ce livre est complété par une chronologie détaillée.

Pour le lire, cliquez ici

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Vincent DROUOT

Vincent Drouot est formateur diplômé et expert en Digital Publishing pour différents centres de formation professionnelle et écoles d'infographies. Il est partenaire certifié pour les solutions Aquafadas AVE Digital Publishing et Quark App Studio. Il accompagne également les éditeurs de livres, la presse et l'industrie pour leur permettre d'aborder la transition numérique avec plus de perspective et de stratégie. Récemment formé au serveur Quark Publishing Platform, il ouvre de nouveaux horizons pour la publication multi-canal pour permettre la centralisation des données (textes, images, vidéos, audio…) et leur publication en temps réel. Il a aussi développé dernièrement des solutions pour la connexion entre les logiciels de mise en page comme Indesign et QuarkXPress avec les CMS comme WordPress, pour l'édition de magazine dont le contenu est issus des Blogs.

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